Francfort
Chaque début recèle une magie cachée, disait Hermann Hesse.
Je suis né tôt le matin, à Casablanca, un 23 juillet. Deux jours avant ma naissance, Monsieur Armstrong avait posé le pied sur la Lune. "One small step for man, one giant leap for mankind." Depuis, je ne cesse de flâner d’une sphère à une autre.
Et puis un jour vint la délivrance, la bouffée d’air et la conscience de la réalité.
Sur une terre, une culture et une langue complètement inconnues, j’ai revu le monde, j’ai redécouvert le monde. Tel un bébé, j’ai observé et me suis beaucoup étonné. Une renaissance des sens. Exercice très agréable. Il faut le vivre pour le comprendre.
Ma vie commença en une fin de matinée d'hiver, sur une terre couverte de neige et peuplée de gens honnêtes.
J’appris beaucoup de choses nobles : que les femmes et les hommes sont égaux, que la dignité d’un homme est sacrée. - L’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme - "Die Würde des Menschen ist unantastbar." Que l’Homme peut dire et écrire ce qu’il veut. Que le règne se fait par suffrage universel. Que la religion relève de la sphère privée. Que la République est laïque. Que nous sommes tous égaux.
J’ai appris aussi que la politique est importante. Qu’il existe une gauche, une droite et des extrêmes. L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration." Qu’il existe une géopolitique et que la Turquie adhérerait à l’Europe... puis finalement non. Trop de musulmans.
J’ai appris à servir. Servir est la plus noble des actions. Dieu est le plus grand serviteur, diraient les croyants. Servir est donc une qualité divine. J’ai passé une bonne partie de ma vie à servir mon prochain et je n’ai jamais su pourquoi, jusqu’à aujourd’hui. On ne gagne pas d’argent, mais on gagne parfois des moments d’étonnement, des émotions, de l’humilité, de l’amour même, de l’intelligence et un océan de rires. Tout en l’Homme me fait rire, même ses blagues pourries, tout.
J’ai adhéré à la gauche social-démocrate par principe, ou peut-être, comme dirait le proverbe, "Tel prince, tel peuple." Je l’attire, le peuple de gauche. J’adore le peuple de gauche, mais en ce moment, il s’abrutit méchamment.
J’avais déjà dix-huit ans et ma vie venait juste de commencer.
Mon premier vrai roman, je l’ai lu à 19 ans à Francfort, à Bornwiesenweg 12 plus précisément. En français bien sûr, je ne parlais pas encore la langue de Goethe. Il s’appelait La vie devant soi d’Émile Ajar. J’appris plus tard qu’il s’appelait Romain Gary. L’histoire parlait d’un enfant abandonné par ses parents qui vivait à Paris... (à développer). Je venais de découvrir pour la première fois cette ville des lumières et de l’amour. Dans un contexte un peu morose certes, mais pas aussi violent que Le Parfum de Süskind.
Les romans sont devenus mon passe-temps préféré. J’en ai dévoré de toutes les couleurs. J’ai eu la chance de me retrouver dans des bibliothèques très cultivées, ce qui m’a permis de connaître des géants de la littérature comme Bertolt Brecht, Hermann Hesse, Goethe, Hemingway, Shakespeare, Simone Weil, etc. Je suis aussi tombé sur des écrivains arabes comme Amin Maalouf, Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun (je l’ai même rencontré une fois), Fatima Mernissi, etc.
"Longtemps je me suis couché de bonne heure", "Ma tristesse n’a plus de fin, elle s’est transformée en un sac de pierres que je transporterai jusqu’auprès de ma tempe", "Love alters not with his brief hours and weeks, But bears it out even to the edge of doom." "Im Schatten des Hauses, in der Sonne des Flussufers, Booten, im Schatten des Salwaldes, im Schatten des Feigenbaumes wuchs Siddhartha." "Poor but content is rich and enough rich." Le voyage fut long.
Puis vint le moment important, la cerise sur le gâteau qui a tout peint devant moi : la musique classique. Mendelssohn, Verdi, Vivaldi, Mozart, Wagner, Beethoven, Rachmaninov, etc. Un concert de sens. Un nouveau genre d’extase, si je peux me permettre.
Je suis né un matin tôt, c’est pour cela que je n’ai jamais le temps, que je vais vite et que j’ai toujours l’impression d’avoir beaucoup de choses à faire. Le T E M P S me fait peur. Car contrairement à la Terre qui tourne et ne nous donne jamais cette impression, le temps fait pareil. Le temps, comme dirait un Rebeu, est comme une épée : si tu ne le coupes pas, il te coupe.
Ma vie fut toujours chaotique. Elle n'a jamais cessé d'être compliquée, mal foutue et désordonnée. La vie des autres est plutôt prévisible, cohérente et laisse peu de place à la surprise.
Zimon, mon surnom de l’époque, aimait l'adrénaline. Il avait deux dieux : Mozart et Dostoïevski. Mozart pour les moments intenses et charnels, et Dostoïevski pour les délicieux instants de mélancolie.
Jamais je n’ai pu faire les choses dans le calme et la sérénité. Tout doit être fait dans l'urgence. L'extrême urgence même. Et là, Zimon renaît, revit et sort son épée pour combattre et terrasser tout ce qui lui barre la route.
Paris
Paris disait Montaigne, a mon cœur dès mon enfance. Je ne suis Français que par cette belle cité, incomparable en variété.
Je suis arrivé à Paris un mois d'août, il faisait chaud et Les gens étaient polyglottes et gentils. J'appris plus tard que c'était le seul mois où il n'y avait presque pas de parisiens... (à suivre )